Célébrités

Laissez que je vous raconte une histoire. 

 

J'ai décidé d'aller étudier un peu en littérature en janvier, un peu voulant dire «en étudiante libre», pour faire travailler ce cerveau qui, me semble-t-il, patauge encore dans les brumes épaisses de la maternité. J'ai pensé à McGill pour la beauté du campus, oui seulement pour cela, pour la beauté. En parcourant la liste des cours et des professeurs, je tombe sur Alain Farah. Tiens Alain Farah! 

Read More

La vie sauvage

Des détails en veux-tu en voilà.
Je me suis levée avec des pleurs d'enfant les cheveux dans la face et la tête dans un étau. La nuit courte pleine d'insomnies coupées en morceaux coincée lourde dans mon cou. J'ai été chercher mon bébé. J'ai joué longtemps avec lui dans le lit, joué à se donner des becs, joué à se chatouiller, joué à attrape mon IPhone, joué à vérifier si cette dent est sortie finalement. 

Read More

Notre pain quotidien

Ça fait une éternité qu'on en parle mais on ne l'a jamais fait. Faut dire que ça prend, malgré tout, une certaine dose de culot. Parce qu'on ne fouille pas dans les poubelles, tout le monde sait ça. Sauf qu'il faudrait revoir nos principes, parce que le monde étant ce qu'il est, c'est fou ce qu'on y trouve.

Donc ça faisait une éternité qu'on en parlait, dis-je, quand tout à coup, l'occasion s'est présentée. On était là au marché Jean-Talon quand on a vu deux gars en vélo remplir des sacs de fruits et de légumes pas mal frais à même les poubelles. C'est une vraie honte, pas de prendre des trucs dans les poubelles, mais bien de les y mettre. On se comprend. Donc on s'est dit, tiens, si eux le font, pourquoi pas nous?

Nous avons notre bébé dans sa poussette qui distribue risettes et tête penchée sur le côté comme d'habitude parce qu'il sait si bien charmer la galerie. On s'approche subrepticement du lieu du crime en se répétant que, malgré les apparences, c'est très bien de faire ça. On ouvre le conteneur et il y a en effet plein de bonnes choses, de quoi remplir plusieurs frigos sans peine. Nous venons donc tout juste de commencer à faire le tri quand soudain une femme passant par là, élégante et bien mise, sac Première Moisson à la main, surprend la scène. Elle semble hésiter puis s'approche. Elle plonge la main dans son sac. Une seconde traîne en suspens dans l'air.

«Excusez-moi», articule-t-elle, gênée. «Voulez-vous un peu de pain pour le bébé? C'est un ciabatta!»


Le bout de pain venu du coeur s'est posé sur notre table de cuisine. On ne l'a pas refusé. Il nous raconte une jolie histoire, celle de notre pain quotidien.

Les nouvelles pèsent lourd

Les nouvelles de Lac-Mégantic pèsent lourd. On dirait qu'elles traînent un peu partout, exprès pour qu'on s'enfarge dedans, elles sont dans les craques du trottoir et dans les feuilles des arbres, elles sont bien sûr écrites dans le ciel et sur toutes les lèvres.

Je me traîne depuis quelques jours. On dirait que l'été est arrivé mais que la sauce pogne pas.

Ce soir j'ai pris congé d'un peu tout et je suis partie en vélo pour humer l'air doux. J'ai mangé une crème glacée. En revenant chez moi je suis tombée sur mes voisins qui s'étaient patenté un visionnement de film au grand air dans la ruelle. Ils étaient une quarantaine, bien assis, avec un bon projecteur et un bon système de son, regardant je ne sais quel film qui avait l'air bon lui aussi. J'ai regardé dans les airs et j'ai vu encore d'autres voisins sur les balcons, assis ensemble, collés, dans les bras les uns des autres. Tranquilles.

Ce soir je pense à l'extraordinaire nature de l'être humain, fragile, violente et belle. 


Liberté

Je roule toute seule dans mon vieux char sur les rangs de campagne entre Montréal et Québec. Je me dis que j'ai le goût de manger des fraises, tiens justement en voilà sur le bord du chemin. J'arrête, je descends du char, bonjour madame! Combien pour le casseau? Je mange le symbole de juin en trouvant que ça goûte un peu l'eau, c'est vrai qu'on a manqué de soleil depuis une couple de semaines.

C'est la première fois que ça m'arrive depuis très très longtemps, rouler toute seule sur les rangs de campagne je veux dire. La dernière fois c'était pour aller jouer, j'étais partie dans un gros char loué avec ma bedaine de quelques mois pis ma contrebasse. J'avais mangé de la crème glacée molle trempée dans le chocolat en regardant le fleuve, j'avais ouvert toutes les fenêtres, je m'étais même arrêtée pour sentir les grosses pivoines dans un joli jardin de Kamouraska, la plus belle chose que j'ai senti de ma vie grâce à mon olfactif de femme enceinte.

Cette fois-là les secondes avaient vraiment le goût de la liberté. On the road, tsé.

Alors maintenant que je roule à nouveau, enfin seule, dans mon vieux char, et que j'ai devant moi trois bonnes heures de conduite, et sur les genoux mon casseau de fraises, je suis bien énervée. Je regarde partout autour, où est-ce qu'elle est, Liberté? Liberté?

Liberté?

Oh, p'tit bébé. T'as vraiment tout changé.
La prochaine fois, tu viendras avec moi, tu vas voir, c'est l'fun faire de la route.

On sera libres à deux.

Sous le calme le chaos

La vie ordinaire, celle que nous, qui sommes nés au bon endroit au bon moment, avons l'occasion de vivre, me terrifie. Je la regarde souvent aller, au détour d'une rue bondée, d'une seconde furtive ou d'une conversation vide. Elle ondule au soleil, désarmante de banalité, tricotée de faits divers, remplie jusqu'au bord d'activités cordées comme le bois en hiver. Elle parle beaucoup mais elle ne dit pas grand-chose. Elle fait passer le temps. Surtout, elle fait passer le temps.

Nous sommes à l'abri, au calme, et quand nous nous révoltons, nous sommes rassurés, parce qu'il en va d'une société en santé qu'elle sache crier de temps en temps. Nous sommes tranquilles, bien portants dans les bras douillets des conventions sociales qui nous informent des choses à faire et du bon moment pour les faire.

Mais sous le calme, le chaos. La nuit guette le moment où nous nous réveillons, seuls, même accompagnés, défaits au creux de notre lit, fragiles comme des bêtes sous l'orage, nus comme des vers devant l'absolu désordre qui sous-tend notre existence. Le silence nous aborde, avec son éloquence unique, et l'obscurité montre des choses invisibles à l'oeil nu.

La nuit, le dormeur éveillé peut voir le monde s'écrouler. Il peut sentir le sol se dérober sous ses pieds. Il peut humer l'odeur de la braise qui couve. La nuit, le dormeur éveillé nage en pleine vérité. Sous le calme, le chaos, sait-il, à ce moment précis, et à deux bras il enserre son existence, sa vie ordinaire, en une muette prière, reste, reste, reste je t'en prie.

Mais sous le calme, le chaos, et si seulement le jour levant cessait de nous amadouer, nous serions bien plus aptes à sauver le monde, mes amis.

Le trou

C'est un trou, un petit trou de rien du tout dans le plancher de bois franc. Il est petit donc, et noir et profond. La poussière s'y accumule depuis des années et des années, parce que le balai n'y peut rien. Mis à part ce détail, je n'avais jamais rien remarqué d'anormal à propos de ce trou, jusqu'à ce que mon bébé ne vienne semer le doute à son sujet.

Chaque matin, quand nous le déposons par terre, c'est là qu'il se dirige. Vers le trou. Dans le trou. Rien de ce qui se trouve sur son chemin vers le trou ne l'arrête, pas un jouet, pas un meuble n'est digne de son attention. Une fois rendu au trou, il en fouille méthodiquement les entrailles, son minuscule doigt dans la poussière, concentré et sérieux.

Je crois qu'il y a quelque chose dans ce trou, mais la nature de cette chose m'échappe. Le mystère de ce trou reste entier. L'absence de réponse confère au trou une aura indéfinissable. Pour un peu, je serais attirée, comme mon bébé, par le trou. En fait, en y regardant bien, je crois que mon bébé a compris que l'essentiel de la vie, c'est ce qu'il y a dans le trou.

Et nous devrions tous, comme Alice, tomber dedans, car il y a probablement tout au fond le pays des merveilles.

C'est un secret.

Ça fait des années que je veux faire quelque chose. Ah oui, quoi? me demandez-vous. Ça dépend. Des fois, c'est un livre pour enfants, des fois, c'est un roman, des fois, c'est un disque, des fois, c'est un film, des fois, c'est une pièce de théâtre. Des fois, j'ai même une bonne idée, une très bonne idée. Quelque chose comme une sorte d'épiphanie. LE projet. Je deviens alors tout excitée, j'implose de bonheur, je suis si contente d'avoir trouvé le filon. Et alors, il faut que ça sorte. J'en parle à mon chum, écoute, j'ai eu telle idée, qu'en penses-tu? J'en parle à mes parents, j'en parle à mes amis, j'en parle même à de lointaines connaissances qui me demandent ce que je fais de bon. L'idée est toujours aussi bonne, et en plus, je constate à chaque fois que j'en parle qu'elle semble trouver écho chez les autres. Bingo! C'est une bonne idée.

Puis, une chose inattendue se produit.
Je ne fais rien.

Je veux dire, j'ai une idée, elle m'emplit d'allégresse. Je l'entretiens. Je l'astique. Sa présence me rassure. Mais elle en reste là, au stade Idée, au stade Projet, les frontières floues, la finalité vague. Et je ne fais rien.

Le temps passe.

Je veux dire, le temps passe depuis bientôt 30 ans. C'est aussi le temps que cela m'aura pris pour découvrir que ce qu'on appelle un «grand parleur, petit faiseur» est simplement quelqu'un dont l’enthousiasme excessif étouffe les projets dans l'oeuf.

Parce qu'un projet est une chose extrêmement précieuse. Une sorte d'oiseau fragile qu'on recueille et dont il faut prendre soin dans le plus grand secret, pour le faire grandir, pour lui faire prendre des forces. Un projet se cultive dans le silence, dans la réflexion, dans l'intimité. À toutes les étapes de son développement, un projet a besoin de temps, d'attention et de patience. Un projet ne doit faire son entrée dans le grand monde que lorsqu'il est terminé, ou, au moins, très bien développé.

30 ans bientôt et je découvre que pour finalement faire, il faut simplement que je me taise. Je découvre que mettre des mots sur une idée trop fraîche, et pire, dire ces mots à quelqu'un, donne une fausse impression d'accomplissement. Une idée a trouvé oreille attentive: elle est déjà, en un sens, réalisée. Elle a trouvé, non pas sa forme à elle, mais une forme, dans laquelle elle se complaît. Il est plus confortable d'en rester là, logée dans l'oreille attentive. L'oiseau est au nid, le nid est chaud et douillet, il n'apprendra jamais à voler.

Un projet qu'on tait, lui, cherchera par tous les moyens à se faire connaître. Il insistera. Confiné à l'obscurité et au silence, il apprendra à fourbir ses armes et deviendra grand, autonome. Un projet qu'on tait et qu'on nourrit dans le secret se mettra au monde lui-même, tôt ou tard.

Alors, la prochaine fois qu'on me demandera ce que je fais de bon ces temps-ci, je répondrai que c'est un secret. Ça me donnera des ailes.

Lettre à un oiseau en train de mourir dans ma cuisine.

Tu es là grand et noir avec ton plumage bleu lustré et ton long bec jaune. J'ai du déjà te voir dans la cour, picorant le gazon. J'ai du déjà t'entendre chanter dans l'arbre le matin. Peut-être que je te connais.

Tu es là grand et noir avec la tache rouge sombre de ta chair à vif qui ressemble à la terre brûlée après la guerre. Le chat de la ruelle t'a attrapé. Je l'ai vu jouer avec toi qui étais pris entre ses pattes griffues et sa gueule de félin victorieux. D'abord je me suis dit que c'était trop tard, que tu étais déjà mort. J'ai essayé de penser à autre chose.

De longues minutes plus tard mon chum a découvert que tu vivais encore. Et alors j'ai tellement pleuré. Toutes les larmes de mon corps, toutes les larmes, toutes. Il t'a déposé dans une assiette en plastique vert et il a mis une petite couverte sur toi, pour te protéger.

Maintenant tu es là dans ma cuisine par terre et ça m'a pris longtemps avant de pouvoir arrêter de pleurer. Comme une enfant, exactement, pourquoi on souffre, pourquoi on meurt? Oiseau, c'est comme ça, c'est arrivé, pardon.


Lire.

Les rares livres que j'ai gardés de l'enfance, de la grande enfance je veux dire, celle qui s'étire jusqu'à vingt ans, sont des livres de femmes. Ils trônent indélogeables à la plus belle enseigne, vieux, usés, lus jusqu'à la moelle, traînés de déménagement en déménagement comme des reliques.

Il y a Marguerite Duras et Colette surtout, il y a aussi l'Hurlevent d'Émily Brontë, Virginia Woolf et Simone de Beauvoir. Ce sont toutes des lectures héritées de ma mère, qui guida mon regard avide sur les bons mots au bon moment. Au milieu de ces livres, il y a de temps en temps un livre écrit par un homme, mais je n'y suis pas attachée de la même manière.

Récemment, je me suis demandé pourquoi.

Je suis tombée dans Colette au début de l'adolescence par Claudine à l'école, un roman de jeune fille. Mon identification à Claudine était totale et absolue comme cela peut l'être seulement à ce moment précis d'une vie. Par Claudine j'eus accès à Colette dont j'appris plus tard la drôle d'existence, trouble et pleine de folie et de douleur.

J'ai rencontré Marguerite Duras vers la fin de l'adolescence et m'en suis délectée à petites doses régulièrement depuis. Duras est une femme dont l'écriture accompagne. Ses mots restent, gravés dans la chair. Ils donnent des indices sur la vie humaine. Par elle mon regard sur les choses s'est affiné. Sa manière étrange de raconter, précise et vague à la fois, est ensorcelante. J'ai tant voulu écrire comme Duras, mais c'est impossible.

Hurlevent d'Émily Brontë. Celui-là, je l'ai lu et relu et relu encore. Il est si usé que j'ose à peine l'ouvrir. J'y suis tombée jeune et ce roman romanesque entre tous m'a fait voyager plus que tout autre dans un pays où je peux retourner à volonté pour un peu que j'y replonge en fermant les yeux. Les livres dans lesquels on tombe avec passion étant jeune sont les plus importants.

Virginia Woolf a toujours été un mystère pour moi. J'ai lu ses mots avec le sentiment d'avoir accès à quelqu'un de terriblement intelligent, trop pour moi probablement. Encore aujourd'hui, lire Woolf m'impressionne. Je voudrais la connaître de l'intérieur, mais elle me tient à respectueuse distance. Je conserve ses livres dans ma bibliothèque avec la déférence que je leur dois, pour le moment où je serai assez grande pour les lire vraiment.

Beauvoir est entrée dans ma vie sur le tard et attend patiemment que j'y retourne. Je sais qu'elle m'attend dans le détour avec ses mots incisifs qui m'ont forgée sans que je le sache. Beauvoir a fait une femme de nous toutes, tout compte fait.

Ces livres écrits par ces femmes dont je vous parle, je les aime. Je vous parle ici d'amour. C'est parce qu'ils ont tous, à leur manière, ouvert dans ma tête une porte sur l'ailleurs, mais c'est un ailleurs dont je sais qu'il m'appartient. Ce n'est pas l'ailleurs des hommes. C'est l'ailleurs des femmes. Non, ce n'est pas la même chose.

Si je vous livrais le fond de ma pensée, je vous dirais qu'il est triste que l'art des femmes soit encore en marge de celui des hommes, parce qu'à cause de cela, le regard de la moitié de l'humanité est amputé de son ailleurs.

Je pense que, ce matin, les femmes de ma bibliothèque avaient un mot à vous dire.






Changer la face du monde

C'est l'heure de pointe dans le métro et, comme toujours, le monde est gris et terne. Les visages sont éteints et les regards fuyants sous l'éclairage froid. Je me dis que plus il y a d'humains dans un espace restreint, moins il y a d'humanité.

Mais cette fois-ci, je ne suis pas seule et j'aimerais avoir une caméra cachée pour filmer ce que je vois. Mon bébé contre moi, visage tourné vers les autres, sourit généreusement à qui tombe sous la chaleur de son regard curieux. Il dépose son attention sur ceux qui l'entourent avec précision et insistance, et il sourit. À tout le monde: au punk, au vieux, à la femme voilée, au motard tatoué, à la grosse jeune fille, à l'enfant de trois ans, à l'étudiante surmenée, au retraité déprimé, au noir, au blanc.

Le métro s'anime, comme dans «le métro reprend vie, reprend âme». Ce que je vois est merveilleux. Sourires soudains, grimaces et mimiques, rires, visages pleins de surprise puis béats de bonheur, airs rébarbatifs rapidement démolis par l'insistance magnifique du sourire entier et radieux du nouveau centre du monde.

Moi, la mère invisible, je ris sous cape, et rentre chez moi au soleil de mai avec la délicieuse impression d'avoir changé la face du monde.

Le printemps, l'ailleurs et la liberté


La remise au monde est collective. Tous, toutes, surgissons à nouveau, dans de nouveaux habits, offerts au monde comme les fleurs jaillissantes, fragiles et excités comme les petites feuilles vert tendre qui nous titillent le regard. Nous nous épions du coin de l'oeil, surpris de nous découvrir, ne pouvant croire que ces gens, ces gens heureux et souriants, sont les mêmes que nous croisions taciturnes dans la rue il y a si peu. 

Mon amoureux brésilien affirme que le printemps québécois, c'est le carnaval brésilien d'ici. Un très long carnaval, doux, qui s'étire dans le temps comme un chat au soleil. Il dit que sans le carnaval québécois, il ne sait pas s'il pourrait vivre ici. 

Chaque année à pareille date me revient avec une étrange férocité le goût du voyage, comme si les effluves du printemps se faisaient écho de l'ailleurs. Ailleurs, me chuchote la brise nouvellement tiède, délicieuse. Et je me laisse envahir par les fantasmes, partir, marcher dans les rues d'une ville inconnue, entrer dans un bistrot, prendre un verre avec le premier venu. Ce n'est pas que je veuille vraiment partir d'ici. C'est seulement que, tout à coup, je me sens libre. Je veux toucher à ma liberté. Je cherche les moments de grâce. Je les appelle. Comme nous tous, alors que nous nous asseyons sur les terrasses, à l'affût du bonheur. 

La liberté est dans l'idée qu'on s'en fait. Elle est dans l'envie de partir. Dans le premier trajet en vélo, alors que nous redécouvrons comme des enfants le plaisir du mouvement au grand air. Le printemps, c'est la liberté, parce que tout est devant. C'est l'état de grâce, ce moment exact et très bref où nous rêvons tous, collectivement, du plus bel été de notre vie, avant d'avoir les deux pieds dedans, avant de nous rendre compte que c'est déjà le mois d'août.

Je vous souhaite un sublime carnaval, soyez libres et heureux.

        


Cinq à sept

Je me suis fait avaler par le frigidaire souvent. Vous savez comment ça se passe: vous rentrez chez vous. Vous ne pensez à rien. Vous vous dirigez vers votre cuisine et vous ouvrez le frigidaire. Vous contemplez son intérieur avec des yeux vitreux. Ça dure plusieurs secondes. Vous vous rendez compte que rien, du contenu de votre frigidaire, ne vous convient réellement, parce qu'en fait, vous ne savez pas ce que vous voulez. En fait, vous ne savez même pas pourquoi vous êtes là. C'est à ce moment-là que votre frigidaire vous avale.

Vous le refermez, mais le mal est fait. Vous vous sentez incroyablement démuni devant votre frigidaire refermé. Vous voulez faire autre chose, mais vous ne savez pas quoi. Le silence vous perturbe. Même le frigidaire a arrêté son chant d'ordinaire incessant. C'est dire.

Heureusement, c'est à ce moment-là, juste avant d'être complètement avalé par votre frigidaire, que vous pensez à une solution. Vous ouvrez de nouveau votre frigidaire qui vous contemple toujours d'un oeil torve, mais cette fois, vous réagissez. Vous saisissez la bière qui traîne à l'horizontal sur l'étage inférieur. Vous êtes sauvé.

Vous appelez ça un cinq à sept.


Amour.

Je suis entrée dans la pièce. J'ai discuté quelques temps avec cette femme qui posait beaucoup de questions. Je me suis étendue.

J'ai regardé le plafond pendant qu'elle promenait cette chose froide sur mon ventre. Je suis restée quelques secondes dans l'interminable attente de la confirmation de ton existence. Puis ta vie a fait irruption dans la mienne, bruyamment. Ton coeur minuscule battait si vite et si fort.

L'autre fois, j'ai posé mon oreille contre ta poitrine. En passant, j'ai senti ton odeur délicieuse de fruit mur et gouté ta peau plus douce que la douceur.

Tu es tant de beauté.

Donc j'ai posé mon oreille contre ta poitrine et j'ai écouté. C'est le même. Je l'ai reconnu.

Je voulais seulement te dire que je te connais par ton coeur.