Notre pain quotidien

Ça fait une éternité qu'on en parle mais on ne l'a jamais fait. Faut dire que ça prend, malgré tout, une certaine dose de culot. Parce qu'on ne fouille pas dans les poubelles, tout le monde sait ça. Sauf qu'il faudrait revoir nos principes, parce que le monde étant ce qu'il est, c'est fou ce qu'on y trouve.

Donc ça faisait une éternité qu'on en parlait, dis-je, quand tout à coup, l'occasion s'est présentée. On était là au marché Jean-Talon quand on a vu deux gars en vélo remplir des sacs de fruits et de légumes pas mal frais à même les poubelles. C'est une vraie honte, pas de prendre des trucs dans les poubelles, mais bien de les y mettre. On se comprend. Donc on s'est dit, tiens, si eux le font, pourquoi pas nous?

Nous avons notre bébé dans sa poussette qui distribue risettes et tête penchée sur le côté comme d'habitude parce qu'il sait si bien charmer la galerie. On s'approche subrepticement du lieu du crime en se répétant que, malgré les apparences, c'est très bien de faire ça. On ouvre le conteneur et il y a en effet plein de bonnes choses, de quoi remplir plusieurs frigos sans peine. Nous venons donc tout juste de commencer à faire le tri quand soudain une femme passant par là, élégante et bien mise, sac Première Moisson à la main, surprend la scène. Elle semble hésiter puis s'approche. Elle plonge la main dans son sac. Une seconde traîne en suspens dans l'air.

«Excusez-moi», articule-t-elle, gênée. «Voulez-vous un peu de pain pour le bébé? C'est un ciabatta!»


Le bout de pain venu du coeur s'est posé sur notre table de cuisine. On ne l'a pas refusé. Il nous raconte une jolie histoire, celle de notre pain quotidien.