Sous le calme le chaos

La vie ordinaire, celle que nous, qui sommes nés au bon endroit au bon moment, avons l'occasion de vivre, me terrifie. Je la regarde souvent aller, au détour d'une rue bondée, d'une seconde furtive ou d'une conversation vide. Elle ondule au soleil, désarmante de banalité, tricotée de faits divers, remplie jusqu'au bord d'activités cordées comme le bois en hiver. Elle parle beaucoup mais elle ne dit pas grand-chose. Elle fait passer le temps. Surtout, elle fait passer le temps.

Nous sommes à l'abri, au calme, et quand nous nous révoltons, nous sommes rassurés, parce qu'il en va d'une société en santé qu'elle sache crier de temps en temps. Nous sommes tranquilles, bien portants dans les bras douillets des conventions sociales qui nous informent des choses à faire et du bon moment pour les faire.

Mais sous le calme, le chaos. La nuit guette le moment où nous nous réveillons, seuls, même accompagnés, défaits au creux de notre lit, fragiles comme des bêtes sous l'orage, nus comme des vers devant l'absolu désordre qui sous-tend notre existence. Le silence nous aborde, avec son éloquence unique, et l'obscurité montre des choses invisibles à l'oeil nu.

La nuit, le dormeur éveillé peut voir le monde s'écrouler. Il peut sentir le sol se dérober sous ses pieds. Il peut humer l'odeur de la braise qui couve. La nuit, le dormeur éveillé nage en pleine vérité. Sous le calme, le chaos, sait-il, à ce moment précis, et à deux bras il enserre son existence, sa vie ordinaire, en une muette prière, reste, reste, reste je t'en prie.

Mais sous le calme, le chaos, et si seulement le jour levant cessait de nous amadouer, nous serions bien plus aptes à sauver le monde, mes amis.